lundi 7 juillet 2008

Art Contemporain sur Canapé. La Rubrique d'Adeline Wessang.

À l’occasion de la première grande rétrospective de Richard Avedon en France, qui se tient au Jeu de Paume jusqu’au 28 Septembre, Adeline Wessang évoque dans un premier temps la visite de l’exposition et revient ensuite sur le parcours du photographe.
RICHARD AVEDON AU JEU DE PAUME

Autoportrait, Provo, Utah, 20 août 1980
Il est presque 20 heures ce lundi 30 juin lorsque j’arrive au jeu de Paume en compagnie de mon amie Margherita Balzerani. Le soleil inonde généreusement la place de la Concorde, la lumière est magnifique. Une file d’attente assez chic s’enroule autour du bâtiment : le Jeu de Paume distribue beaucoup de cartons d’invitation pour ses vernissages… Nous fendons la foule.
La visite démarre au rez-de-chaussée et se termine à l’étage. L’enfilade de salles propose un agencement des œuvres de manière thématique. Le parcours s’ouvre sur les photographies de mode, celles que nous connaissons tous : Dovima avec les éléphants, posant en robe du soir Dior au Cirque d’Hiver en 1955.

Dovima avec les éléphants, Cirque d'Hiver, août 1955

Effectivement, l’accrochage prend le parti d’amener petit à petit le spectateur vers les aspects les moins connus du travail de Richard Avedon.
Marta Gili, directrice du Jeu de Paume confie : «A mon sens injustement rangée du côté du glamour, de la célébrité et du pouvoir, l’œuvre de Richard Avedon témoigne au contraire d’un parcours artistique riche en positions critiques sur la photographie, la représentation du réel et la construction identitaire.»
Les salles se succèdent avec les portraits de célébrités puis les années 60. Derrière une cimaise en forme de paravent nous découvrons quelques images de son père, Jacob Israël Avedon, montrées ici de manière discrète.
À l’étage est présentée la série In the American West qui est probablement moins connue du grand public. Des portraits monumentaux nous font face de part et d’autre. Tous les personnages nous regardent droit dans les yeux. Cette frontalité en noir et blanc s’accorde parfaitement avec la sobriété de l’accrochage. En effet, pas de surenchère décorative, les cartels sont discrets, parfois même juste signifiés par un puits de lumière.
La plupart du temps, les sujets prenaient la pose à la lumière du jour, dans un champ ou devant un camion, un panneau blanc avait été au préalablement disposé en arrière-plan par Avedon. Les contrastes sont très forts, mettant en valeur les détails comme les taches de rousseur de ce jeune fermier de l’Idaho (Jay Greene, 1983) ou encore les traces de pétrole qui maculent le visage de cet ouvrier (Red Owens, 1980).

Red Owens, ouvrier dans l'industrie pétrolière, Velma, Oklahoma, 12 juin, 1980

Les salles de l’exposition semblent envahies d’un silence ouaté. Pour cette galerie de portraits sur fond blanc, Avedon a délibérément choisi d’occulter l’environnement immédiat. Tout ce qui est bruyant (tracteurs, outils, machines à écrire…) n’apparaît pas à l’image, au profit de ce fond blanc. Le blanc est, paraît-il, la couleur du silence.

RICHARD AVEDON : UN PORTRAIT
(1923-2004)

Appartement de Richard Avedon, photographie de Andrew Moore.

Il est né en 1923 au sein d’une famille juive d’origine russe vivant à New York.
Son père, un amateur de photographie éclairé, l’initie à la discipline. Agé de 10 ans, Avedon réalise son premier portrait : le pianiste Sergueï Rachmanivov, qui vit dans le voisinage.
À 19 ans, il passe deux ans dans la marine marchande au service des photos d’identité.
En 1944, alors qu’il travaille comme photographe publicitaire pour un grand magasin, il est remarqué et débauché par le directeur artistique du célèbre magazine de mode Harper’s Bazaar. Il se rend à Paris pour photographier les collections de haute couture française, il le fera jusqu’en 1984.
Deux ans plus tard, il est à la tête du département photo du magazine.
Richard Avedon se démarque des autres photographes de mode en insufflant de la vie à ses modèles : ils rient, ils sourient. Ils agissent. Ils ne sont pas figés. Avedon est le premier à placer les mannequins dans les lieux publics tels que les magasins, la rue, les restaurants. Il veut donner l’impression que ses photographies sont prises sur le vif.
En 1966, il quitte Harper’s Bazaar pour rejoindre Vogue. Il y restera jusqu’en 1990. Il entame à ce moment-là une série de reportages. Il se rend dans des hôpitaux psychiatriques et photographie les patients internés. Il documente également les manifestations de protestation à l’égard de la guerre du Vietnam en 1969, et se rend là-bas en 1971 afin de réaliser des portraits de responsables militaires et de victimes du napalm.
En 1967, il réalise deux séries de portraits des Beatles. L’une se compose de 4 portraits colorés au moyen d’une solarisation, c’est-à-dire une très forte surexposition de la pellicule. Au développement, l’image négative est inversée et persiste à rester sur l’image obtenue et donc à coexister avec l’image positive. Ces portraits très colorés s’intègrent parfaitement dans la mouvance psychédélique de l’époque.
L’autre série, en noir et blanc montre chacun des membres vêtu de noir et posant sobrement devant l’objectif. Cette série sera d’ailleurs incluse dans le White Album, qui sort l’année suivante, en 1968.
Sa renommée croissant, Avedon photographie de nombreuses personnalités : Marilyn Monroe, Allen Ginsberg, John Ford, Andy Warhol, William Burroughs, Truman Capote, Rudolf Noureyev, Joan Baez, George Bush, Bob Dylan… Ses portraits se caractérisent par une grande sobriété, le noir et blanc est préféré à la couleur et de manière générale, le sujet est présenté de face sur un fond blanc, et regarde directement l’objectif, établissant un rapport direct avec le spectateur.
En 1974, il expose au Musée d’art moderne de New York (MoMA) une série de portraits de son père alors atteint d’un cancer. Il réalisait des portraits de son père depuis quelques années. Lorsque l’on visionne toute la série, on voit le visage s’émacier davantage au fur et à mesure que les images défilent. Une illustration à la fois intimiste et émouvante du caractère inexorable du temps qui passe.
Avedon utilise beaucoup les grands formats, dépassant parfois 1 mètre de haut. La série In the American West est consacrée aux cow-boys, pécheurs et mineurs du grand Ouest américain. C’est en 1979, à la demande du Amon Carter Museum à Fort Worth (Texas) qu’il se lance dans ce projet qui l’occupera 6 années durant. A terme, 125 portraits de gens ordinaires vivant dans l’Ouest des Etats-Unis.
Les travailleurs sont la plupart du temps montrés dans leurs vêtements de travail, qu’ils soient foreur pétrolier, ouvrier ou femme de ménage. Il s’agit quasiment d’une œuvre sociologique, évoquant ainsi le travail de photographes tels que Walker Evans ou Dorothea Lange qui avaient documenté la pauvreté dans les milieux ruraux après le krach de 1929.
Dans la série In the American West, les sujets se détachent sur un fond blanc et fixent tous l’objectif. Le spectateur est frappé par le traitement des modèles : c’est le même que celui qui est réservé aux personnalités. Avedon a d’ailleurs été vivement critiqué lorsque ces photographies sont parues. En effet, on lui reproche de montrer la face cachée des Etats-Unis, celle qui est moins flatteuse.

Appartement de Richard Avedon, photographie de Andrew Moore.

«Mon sujet n’est pas l’Ouest ; j’aurais pu faire ces photos en n’importe quel lieu du monde. Ces portraits parlent des gens, comme tout ce que je fais. Peu importe l’Ouest.» Richard Avedon
Richard Avedon reçoit de nombreux prix pendant sa carrière : International Center of Photography (1993), Prix Nadar (1994), médaille du 150e anniversaire de la Royal Photographic Society (2003).
Il réalise l’édition 1997 du Calendrier Pirelli.
En 2004, il est frappé d’une hémorragie cérébrale alors qu’il travaille sur le projet Democracy qui montre les préparatifs des élections présidentielles prévues cette même année. Il se rend aux Conventions de Boston et New York, voyage au Texas et au Nevada et va même jusqu’à San Francisco. Ce portfolio reste inachevé.
La Richard Avedon Foundation est créée l’année suivante.
Bibliographie sélective :
- Observations, texte de Truman Capote, New York, Simon and Schuster, 1959
- Nothing Personal, texte de James Baldwin, New York, Atheneum, 1964
- Portraits, texte de Harold Rosenberg, New York, Farrar, Straus & Giroux, 1976
- In the Amercian West 1979-1984, New York, Harry N. Abrams, 1985
- Avedon the Sixties, textes de Richard Avedon et Doon Arbus, New York, Random House, 1999
The Richard Avedon Foundation : http://www.richardavedon.com/
25 West 53rd Street, New York 10019
Tel : +1 212 581 5040
L'exposition à Paris:
«Richard Avedon : Photographies 1946-2004»
du 01 Juillet au 28 Septembre 2008
au Jeu de Paume, site Concorde
1, place de la Concorde
75008 Paris

Informations pratiques:
le mardi de 12h à 21h
du mercredi au vendredi de 12h à 19h
samedi et dimanche de 12h à 19h fermeture le lundi
Tel : +33 (0)1 47 03 12 50
http://www.jeudepaume.org/

Adeline Wessang est née en 1977 à Nancy.
Diplômée en Archéologie grecque à l'Ecole du Louvre en 1999, elle entame l'année suivante un cursus en Art contemporain à la Sorbonne. Son sujet de mémoire porte sur le traitement du son dans les vidéos de l'artiste américain Bill Viola. Collaboratrice de la Galerie Patricia Dorfmann de 2001 à 2002, rédactrice occasionnelle pour des revues anglo-saxonnes, curator invité à la Tate Liverpool en 2004 pour l'exposition A Secret History of Clay.Une série de photos documentant la Fête des Morts au Mexique qu'elle réalise en 2003 et sa connaissance de l'art contemporain mexicain lui valent d'être consultante pour le Ve Festival Internacional del Dia de los Muertos. Ce festival se tenait simultanément à Mexico, New York , Londres et Paris du 1er au 3 novembre 2007.Elle parle anglais, allemand, espagnol et italien. Dès qu’elle le peut, elle file au bord de la mer faire de la planche à voile. Elle travaille actuellement au département de l'Action Culturelle au Palais de Tokyo à Paris. Contact : adelinewessang@palaisdetokyo.com