dimanche 3 février 2008

The GUEST of the month "Février 2008": Pierre de Saint-Phalle, écrivain et Professeur de Culture Générale à Eurasiam.

Théâtre, rock et poésie.
(Pour une seconde lecture, ne lire que les mots en gras)
J'aime parler (de moi), l’écrit est différent. Il révèle trop pour être innocent.

Depuis 6 mois je suis en charge du cours de Culture Générale à l'école Eurasiam, Paris. Et bientôt formateur en prise de parole en public pour tout public. Prof de culture G ? QEZAKO ? Formateur en rhétorique, éloquence et tout ce qui touche aux arts du discours, première réponse possible. Disons que je travaille l'aisance de mes élèves à l'écrit comme à l'oral. "C'est dans le feu le plus ardent que l'on forge les métaux les plus durs" (Lord Byron) et j'applique cette maxime par des exercices plus ou moins contraignants selon mes classes.

L’époque nous force à nous dévoiler, à exposer nos pensées et nos vies. C'est une ère de voyeurisme généralisé, standardisé et légitimé. Hier j'ai vu le Président de la République dans Closer. Nous nous exposons en blogs et webcams, ce que je fais en ce moment d'ailleurs, c'est de l'écrit exhibitionniste. J'aime partir en diatribes lyriques contre la modernité, ca ne sert à rien, mais ça occupe, ça détend. Se plaindre, râler et trouver que tout va de travers est un droit français inaliénable.
Comme beaucoup de formateurs, j'ai commencé mes études en disant "Prof... Jamais !" et quelques diplômes, quelques expériences professionnelles et surtout quelques prises de conscience plus tard, la formation m'est apparue comme l'activité quotidienne la plus enrichissante. Discours intérieur qui me permet de croire, le lundi à 8h30 lorsque mes élèves rechignent à passer à l'oral que ce que je fais a un sens. Ha, le sens...
Je ne vais pas vous parler de ma vie in extenso, aucun intérêt.
J’ai beaucoup déménagé. Mes parents ont divorcé, j’avais 5 ans. J’ai vécu avec 25 chiens à Cudot.
Jeunesse, adolescence. Mouvements.
Seconde à Cagnes-sur-Mer, Première à Draguignan, Terminale à Toulon. Chaque année était l'occasion de rencontrer, d'explorer et de changer. En terminale deux révélations: la philosophie et le théâtre. Nietzsche et Stanislavski. L'écrit et l'oral, la lecture et l'écoute. Pas de cours de théâtre au Lycée Jean Moulin depuis 15 ans, nous avons cherché une troupe professionnelle. L'Uppercut Théâtre a répondu, le lycée a payé. J'ai passé deux ans à apprendre à occuper l'espace, moi qui cherchais à disparaitre. Je ne pourrais jamais remercier suffisamment Laurent et Emma, nos maîtres.

Poème de Nietzsche que j'ai lu à 17 ans, premier texte à faire monter mes larmes immédiatement. Je passe ensuite 4 années à essayer de comprendre comment un homme mort depuis un siècle, venant d’une autre culture avait pu me toucher à ce point. Je l'ai mis en monologue et présenté devant une salle mi figue mi raisin. Apres 4 années passées à lire Nietzsche ; j’ai décidé d'arrêter, comme on arrête de boire, d'un seul coup, en se promettant de ne plus retoucher un seul verre (vers) de sa vie. 1999 Bac L option maths, direction Classes préparatoires de lettres à Toulon, 2 années d’intense métamorphose. J’ai mûri culturellement et intellectuellement. Illusoire impression.
2002 Licence de Philo sur Aix-en-Provence ET Deug de Droit (folie du double cursus). Année charnière, emploi du temps bondé à courir pour des cours dans les 4 coins de la ville. Les juristes sont des enfants qui jouent avec des concepts tranchants. Les profs de philo, des penseurs sans volonté d’impact sur le réel (pense alors mon jeune cerveau révolté qui réagit plus vite qu’il ne pense), la Cité ne les intéresse pas. 2002, c'est Le Pen au second tour, c’est mon professeur d'Esthétique qui me dit "De toute façon le relativisme a répondu à toutes les questions d'ordre morale et politique". La philo n'est pas ma voie, le droit non plus. Japonais en seconde langue, 7 dissertations plus tard j'entre en seconde années à Sciences Po Aix.
Et là ... l'ennui. Ma formation de philo et de Droit me fait passer pour un OVNI aux yeux des élèves et des profs. Un concours d'éloquence se présente à la Fac de Droit. Je le prépare un peu, je veux remonter sur les planches, parler au public avec mon propre texte.

Le thème pour les éliminatoires était "Le point sur les I", j'ai relu ce texte avant de vous le montrer (contraint et forcé par Margherita), c'est maladroit, mal écrit, mais j'ai pour lui une affection particulière :

Je suis fatigué
J'ai traversé l'espace, le temps et l'absurde

Laissez-moi-vous conter une fabuleuse histoire: celle du chaos qui anime le monde, celle de la quête des jambes et de la fuite des points.
Au lendemain d'une fête solaire, les mots s'éveillèrent avec un mal de crâne profond et persistant. Dans la Grande Bibliothèque les ouvrages sortaient un à un des bras de Morphée, Les lettres se décollaient de leurs pages, se regroupaient pour la grande assemblée.
Une fête au pays des mots est indescriptible aux humains. Les lettres avalent des liqueurs inconnues dès la tombée du jour, puis se poursuivent en danses folles pour former des vers puis des sonnets qui défient l'imagination des plus grands poètes opiomanes.
A leur réveil, quelque chose manquait. Des tas de petites choses: les points sur les i manquaient à l'appel du grand Alphabet, laissant la jambe de cette lettre sans tête.

Le Grand Alphabet est l'Assemblée de toutes les lettres, l'organe suprême et unique de décision qui détermine toutes les lois de grammaire, et fixe le Jour de la Grande Libation Solaire. Elle se réunit tous les matins au centre de la Grande bibliothèque pour tenir conseil.
Au petit matin, personne n'osait encore y croire, ils pensaient tous que ces farceurs de points s'étaient un peu trop enivrés d'encre de Chine, cuvant dans un coin le liquide onirique.
Mais, les heures passèrent, et la vérité s'imposa: les points avaient fuit. Sans points, les i ne peuvent se prononcer, les yeux survolent la jambe seule et ne lisent rien.
Les jambes justement d’ordinaires si discrètes, se liguèrent rapidement et obtinrent de l'Alphabet la formation d'une commission de recherche. Celle-ci devait immédiatement se mettre en quête d'archives relatant une telle disparition. Car, si d'aventure une telle fuite s'était déjà produite, les archives millénaires devaient forcément relater l'événement.
Pendant ce temps les y se frottaient les boucles: leur prononciation n'ayant besoin d'aucun point. Les J miraculeusement épargnés restaient en retrait, n'osant se faire remarquer de peur d'attirer la malédiction qui frappait ces pauvres i. Les K, amis voisins des I dans l'Alphabet, tentaient de rassurer ces derniers, les points étant volages, ils seraient de retour sous peu.
Toute la journée, la Commission compulsa les archives, mais ne trouva rien: il s'agissait bel et bien de la première fuite alphabétique. Le lendemain matin, l'Alphabet se réunit et décida, dans l'urgence le remplacement de tous les i par des y. Cette mesure temporaire permettrait lecture et écriture, respirations des âmes.
Les jambes se regroupèrent, élurent une jambe majuscule comme chef, puis se présentèrent le lendemain devant l'Alphabet, La jambe majuscule interrompit les remerciements d'un Y pour la confiance que l'on accordait à sa coterie pour le remplacement des I.
Le I tint exactement ce discours:

"Nous sortons de l'Alphabet, nous partons dès aujourd'hui à la recherche de nos points !
Nous ne cesserons jamais de poursuivre ces plaisantins afin de les ramener sur nos têtes !
A travers le Temps et l'Espace, je lance aujourd'hui la Jihad !
Nous serons la quête, ils seront le Graal !
Nous serons les balles de AK 47 ils seront les têtes ennemis!
Nous serons les baguettes chinoises à la recherche des petits pois dans le bol !
Nous serons les cigarettes incandescentes qui aspirent le maximum de molécules d'oxygène !
En un mot, nous retournerons l'univers pierre par pierre pour remettre les points sur les i !"

Plein de cette fougue guerrière, les jambes se dispersèrent. Les guerres s'intensifièrent, les saumons remontèrent plus vite les rivières, une frénésie nouvelle s'empara du monde. Comme l'avait juré le I majuscule décapité, le passé et l'avenir furent marqués par cette quête désespérée.
De Jéricho à Sodome, de Saturne à Junon, rien ne fut épargné.
On nomme cette quête terrible: le Jihad des Décapités. Sa fureur dans toute la création, rayonne d'une imputrescible clarté.
Brisant, luttant et déchirant sans cesse tout ce qui aurait pu contenir un point: les Jambes devinrent cette force nommée Entropie.
Cette présence cachée qui détruit à terme toute chose et leur permet ensuite d'être recréées.
Le monde s'agitera à jamais de cette recherche effrénée.

Jamais ils ne parviendront à retrouver les fuyards.
Les Y, dès ce moment remplacèrent les I, les jambes et leurs points furent plongés dans l'oubli.

Je vois dans vos regards la question: Pourquoi, comment, ou sont donc passés ces fous de points ?

Voici ce qui advint lors de la dernière libation Solaire:
Les Y, jaloux du succès des I, entraînèrent les points à l'écart. Ils les invitèrent à boire ce que l'on nomme l'absinthe des lettres: l'encre verte de Venise. Une encre mystérieuse, composée en partie du sang des poètes grecs et latins, dont tous savent le pouvoir psychogène. A demi morts, les points furent subjugués par le discours que leur teint le Y majuscule.
En substance, il leur dit: «Amis, une grande quête vous attend. Une page immaculée demande votre présence, vous êtes le fer de lance d’une armée infinie qui s'apprête à donner l'assaut. Cette grande page est noire. Il vous faut la percer de toutes vos forces ! Ainsi vous apporterez la lumière à tous ceux qui en manque ! Frappez ! Frappez ! Frappez encore !"
A ces mots, et par trois fois il désigna la nuit. La voûte céleste devint leur ennemie. Ils partirent tous percer le néant.
Aujourd'hui encore ont peut observer l'effet de cette félonie, de cette trahison des y à l'ordre alphabétique: les étoiles mes amis, sont les trous que formèrent les points qui ont fuit les i.

Cela a suffi pour passer les éliminatoires. Débats contradictoires sur sujets varié devant amphis bondés pour chaque étape. C’était pour moi un plaisir intraduisible quand mes malheureux adversaires exposaient leur malaise, parlaient vite et finalement s’excusaient d’être présents. J’aurais payé pour que 600 personnes viennent m’écouter pendant 45 minutes. Je remporte ce concours.

...Et Margherita, dont vous suivez le blog, ma directrice pédagogique adjointe, me demande d’être le guest du mois de février!