mercredi 2 juin 2010

Hommage à Louise Bourgeois. Le corps à épreuve de hystérie.

Pour rendre hommage à Louise Bourgeois, j'ai décidé de publier cet essai paru dans l'Evolution psychiatrique en 2008.

«Ce n’est pas une image que je cherche, explique-t-elle. Ce n’est pas une idée. C’est une émotion qu’on veut recréer, une émotion de désir, de don de destruction»1. Louise Bourgeois.

Agée de 96 ans, Louise Bourgeois est aujourd’hui l’une des artistes qui a le plus contribué à la libération du corps et du désir féminin. Première artiste à formuler l’idée de sculpture environnementale et à pratiquer la performance en restant prolifique. Mais, si l’œuvre de Louise Bourgeois est aujourd’hui autant célébrée et soutenue par la critique, sa démarche artistique se révèle tout de même à la fois précurseur et marginale dans l’histoire de l’Art. En refusant de s’associer à tout mouvement artistique, Louise Bourgeois a réussi à créer une œuvre très personnelle en retranscrivant dans ses créations son expérience de fille, mère et tout simplement de femme.

Le centre Georges-Pompidou lui consacre une exposition monographique qui est en programme

21 jusqu’au 2 juin 2008. Cette rétrospective présente de manière exhaustive l’évolution formelle, dès son enfance à Choisy-le-Roi jusqu’à son arrivée à New York. Organisée sous un parcours chronologique et par découpage en grandes périodes, l’exposition présente ses débuts en peinture, ses personnages totémiques jusqu’aux œuvres majeures comme Spider 1997, Precious liquids 1992 et Red Room (Child) 1994. Entre cabinets de curiosités et journal intime ses œuvres torturées, emmêlées, amputées, déroutées s’expriment dans l’espace.

« Tout mon travail est un autoportrait inconscient, il me permet d’exorciser mes démons. Dans mon art, je suis la meurtrière, dans mon monde, la violence est partout »2.

La réaction du spectateur face à ses œuvres n’est jamais passive, en oscillant avec une extrême aisance formelle entre figuratif et abstrait ses sculptures agissent comme par empathie sur le psychisme du spectateur. Ses doutes et sa fragilité psychique contribuent alors à donner à l’œuvre une valeur organique. C’est ainsi, que cette production artistique compulsive se révèle pour l’artiste comme une forme de thérapie, qui l’aide à transcender la peur. En dépit de l’enfermement chaque mois, Louise Bourgeois ouvre son atelier aux artistes, aux critiques et aux curieux pour discuter autour d’un thé le dimanche après-midi.

L’œuvre « Arch of hysteria », réalisée en 1993, représente un corps d’homme asexué et décapité. La tension du corps masculin s’exprime à la fois de façon radicale et sinueuse. Cette œuvre est une suite cohérente à l’installation « Destruction of the Father » réalisée par l’artiste en 1974 et à toute la réflexion construite par l’artiste autour de la destruction du père. Cette révolte débuta en 1940, quand en côtoyant les surréalistes exilés aux États-Unis, Louise Bourgeois avait critiqué fermement leur mythologie de la femme fatale, esclave hystérique de l’amour fou. Si, comme soulignait Freud, il existe chez les individus des désirs pulsionnels aussi bien masculins que féminins qui sont devenus inconscients par refoulement, sans doute alors le syndrome de l’hystérie souvent associé à la femme se retranscrit pour Louise Bourgeois dans un corps en bronze doré qui mis à l’épreuve par sa contraction et son étirement circulaire montre une forme double qui s’exprime entre équilibre et déséquilibre, vide et plein, homme et femme. Et si les surréalistes avaient vu dans l’hystérie l’extase de la jouissance et le prototype formel de la beauté « convulsive », Louise Bourgeois à travers cette œuvre redonne à l’hystérie son sens clinique et tragique3.

1 Louise Bourgeois au centre Pompidou. Hors Série. Beaux Arts éditions. Paris 2008.

2 Ibidem.

3 Jean Clair, Cinq notes sur l’oeuvre de Louise Bourgeois. Éditions l’échoppe, Paris 1999.