mercredi 10 septembre 2008

The GUEST of the month "Septembre 2008" : NICOLAS PENEDO, Journaliste Animeland.

Carte Blanche à Nicolas Penedo, Journaliste Animeland.
Batman : Under The Hood
Seras-tu un homme mon fils ?
Une récente saga de Batman, Under the hood, sera le sujet de mon article en tant que guest sur le blog de Margherita. Par ses développements psychologiques et métaphoriques, cette histoire mérite, à mon sens, d’être analysée ici. Que le lecteur soit prévenu, les révélations seront inévitables pour dégager les problématiques ambitieuses de ce moment clé de l’histoire de Batman.

Under the hood – histoire en deux albums signée par Jud Winick et Doug Mahnke – met en scène l’arrivée à Gotham d’un nouveau vigilante portant un casque rouge, le Red hood. Ce dernier se montre particulièrement violent et sans pitié : il décide de faire le ménage dans les rues de Gotham en éliminant les dealers. Insaisissables, il terrorise les bourreaux de la ville dont il va finir par devenir le chef.
De son côté, Batman refuse bien évidemment cet état de fait et le combat, mais sans succès. C’est que son adversaire semble le connaître suffisamment bien pour le mettre sans cesse en défaut. Opiniâtre, Batman n’en abandonne pas pour autant la lutte et lors d’un combat, son adversaire se démasque. Le Red hood est en fait Jason Todd !

Pour ceux l’ignorant, il s’agit de la deuxième recrue à avoir occupé le costume de Robin. Ce qui se révèle choquant puisqu’il le Joker l’a tué dans la saga A death in the family. Déboussolé, Batman tente de déterminer si oui ou non il s’agit de Jason. Ce dernier, de son côté, tente de faire payer à Batman ce qu’il assimile à une trahison : le Caped crusader n’a en effet jamais cherché à punir le Joker de son crime. Et Jason entend bien solder ses comptes avec son ancien mentor et son bourreau.


La jouissance de la violence
Disons-le, il y a un plaisir assez pervers dans la mise en scène des exactions du Red hood. Ce dernier se comporte en effet comme Batman si ce dernier laissait tomber tous ses interdits moraux. Red hood donne à voir ce qu’un homme ayant atteint la maîtrise parfaite de son corps, ne connaissant ni la peur ni la pitié, serait capable de faire pour combattre le crime et la violence.
Au fur et à mesure de l’avancée de l’histoire, on voit bien que Jud Winnick, le scénariste, prend de plus en plus de plaisir à montrer la puissance de Jason. A tel point que la mise en scène finit par devenir susêcte. A la différence d’un manga comme Death Note où le scénariste, Tsugumi Ohba, réussissait à la fois à valoriser son méchant Kira, pour en faire un anti-héros magnifique, tout en donnant suffisamment d’information sur lui au lecteur pour qu’il démonte son discours théologico-fasciste, autant dans Under the hood, Jason offre une vision fascisante et fascinante de ce qu’un justicier sans compromis possible pourrait faire afin d’arriver à ses fins.

De fait, le voyeurisme du lecteur, son ressentiment à l’égard de la société, son amour de la violence, son besoin de cruauté, qui est sollicité. Batman, chancelant, ne peut offrir de modèle capable de s’opposer à Jason. Batman, dans cette saga, perd. Littéralement. Le lecteur doit donc choisir son camp. Philosopher s’avère une nécessité sans laquelle on ne peut raison garder. Pour parler comme Blaise Pascal, il faut considérer que « la justice sans la force est impuissante ; la force sans la justice est tyrannique. Il faut donc mettre ensemble la justice et la force ; et pour cela faire que ce qui est juste soit fort, ou que ce qui est fort soit juste. » - Il faut donc penser contre le Red hood avec Batman. Ce qui ne va pas être une mince affaire.


De l’implication morale de Batman
Car à bien y réfléchir, Batman n’a-t-il pas une part de responsabilité dans ce qui arrive ? De quel droit un homme décide-t-il de devenir un justicier nocturne et d’entraîner par la suite un adolescent à combattre des criminels ? Si on ajoute à cela le fait que l’arrivée de Batman a provoqué la création de nombreux ennemis tous dérangés (le Joker, Two Face ou encore le Pingouin), on serait tenté de dire que Batman recueille la monnaie de sa pièce.

Red hood tue et le fait de manière remarquable car notre héros lui a enseigné comment il fallait le faire. Batman se retrouve donc confronté au mal et au mal né de sa propre faute. Dans les premières histoires de Batman, le Red hood avait déjà fait une apparition. On découvrait que Batman l’avait accidentellement fait tomber dans une cuve d’acide faisant de lui… le Joker ! Donc, forcément, ce nouveau Red hood ne porte pas un casque rouge par hasard. Il s’agit bien de placer la folie de Jason dans une filiation directe. De la même manière que Batman a « créé » le Joker, il a enfanté un nouveau monstre. Ce qui nous conduit maintenant à questionner ce qu’il en est de la filiation dans les comics dont Jason constitue un exemple flagrant.


Jason : une métaphore de la filiation ratée
Depuis plusieurs années, le comics est travaillé par une question intéressante, celle de la filiation. On sait ce que représente le fait de donner la vie pour une femme ; on a découvert, depuis Sigmund Freud et surtout Jacques Lacan, que la place du père était essentiel dans la transmission d’un héritage psychologique et que la crise de notre société actuelle était consécutive à ce que Lacan appelait une forclusion du Nom-du-Père, soit le refoulement de la Loi en tant qu’elle détermine l’individu dans son intimité psychologique.
Cette thématique de la filiation n’est pas inédite, loin s’en faut. Depuis leurs origines, les super-héros ont toujours été épaulés par leurs sidekicks, jeunes héros censés attirer le lecteur du même âge et lui donner un point de repère dans des aventures d’adultes. Dans les faits, pourtant, le compagnon du héros servait surtout à se faire enlever à chaque épisodes (ce qui donnait une bonne raison au vigilante de se lancer à sa poursuite et de combattre de sombres méchants) ou à lancer des plaisanteries.

Mais dernièrement, les choses se sont précipitées. Ainsi, Batman – encore lui ! – a gagné un fils dans le récent album Batman and son dans lequel Grant Morrison s’inspire de l’album Son of the demon. Mais son fils, Damien, a été entraîné par la guilde des assassins et se révèle un jeune psychopathe… Captain America a quant à lui découvert que Bucky, son fidèle compagnon, n’a pas été tué à la fin de la seconde guerre mondiale mais a été détourné et manipulé par les communistes pour devenir un assassin à leur solde ! Le soldat d’hiver, c’est son nom, a néanmoins repris le droit chemin, ou presque… Enfin, la série Iron Fist voit ce second couteau pratiquant le Kung-fu se découvrir une lignée d’ancêtres possédant le même pouvoir que lui et un père de substitution. Cette révélation va profondément modifier la nature du héros, devenu un héritier et quel héritier !
Ainsi, le comics s’interroge de plus en plus sur ce que signifie donner vie à un fils et aime manifestement créé des enfants torturés, violents et dangereux. Façon pour les créateurs de ces histoires de déplorer l’évolution de la jeunesse ? Simple pirouette dramatique ? Troublant, tout de même, de voir comment, entre les deux maisons concurrentes DC et Marvel, on semble travaillé par les mêmes obsessions.


Jason : la souffrance du survivant
Pourquoi Jason en veut-il à Batman ? Pas parce que ce dernier ne l’a pas sauvé – cela, il ne le pouvait. Mais bien parce que Batman ne l’a pas vengé. Il n’a pas donné le coup de grâce au Joker et Jason se sent blessé. Peut-on honorer la mémoire de son fils mort sans venger son crime ?
Celui qui survit à une catastrophe (Shoah, 11 septembre…), ayant vu des centaines de personnes mourir autour de lui, développe un complexe, celui du survivant. Comment accepter de s’en être sorti là où tant sont morts. Pourquoi moi et pas eux ? Mais Jason pousse encore plus loin cette angoisse : lui est bel et bien mort et ressuscité ! Il doit désormais vivre avec un morceau de son existence en moins, avec la sensation de la mort en lui : ne s’est-il pas réveillé avec une angoisse terrible, dans son propre cercueil, devant le briser puis gratter la terre avant de pouvoir sortir (comment ne pas repenser à cette séquence glaçante de Kill Bill 2 de Quentin Tarantino ?) ?


Mais Jason oublie totalement une chose : si Batman a une légitimité, ne serait-ce qu’une petite, c’est bien parce qu’il ne franchit pas une certaine limite. Il ne tue pas. Jamais. Ce respect de la vie, même celle du pire des salauds, le différencie d’un Joker ou d’un Two Face. Batman reste un héros car il arrête les criminels et ne fait pas justice par lui-même. Il remet le coupable aux autorités judiciaires qui devront ensuite le juger. Batman reconnaît qu’il existe quelque chose au dessus de lui et ce quelque chose, c’est la Justice. Il la sert, il ne la remplace pas. Son lien avec le commissaire Gordon revêt, à ce titre, une importance certaine : en travaillant de concert avec un policier, Batman se place dans une semi forme de clandestinité et, corollaire, dans une semi-forme de légalité. Batman n’est pas seul à décider durant ses enquêtes. Il rend ainsi des comptes. A un homme à l’allure paternelle – il a l’âge et une fille, Barbara, qui deviendra Batgirl et dont l’âge semble proche de Batman. Gordon incarne le père permettant au fils de ne pas sortir de la route fixée.
Jason, lui, ne pense qu’à sa vengeance. Bouleversé par son expérience de la mort, Jason exige que le père lui livre un sacrifice, celui de Joker.


Renversement des valeurs : ce n’est plus Dieu qui demande à Abraham de tuer Isaac pour lui, mais Isaac exigeant d’Abraham de transgresser les vœux de Dieu pour lui. Si Batman cède, il se perd et ensanglantera son fils Jason. S’il ne cède pas, il peut alors rester le pilier au service de la Justice.


La fin des héros et le début des mythes
Mais il y a une deuxième lecture que l’on peut faire de l’histoire de Jason. Une lecture contestable puisque elle soulève un problème remontant à bien avant lui. Il s’agit de la difficulté de donner vie aujourd’hui à de nouveaux super héros.
Dès lors qu’une maison d’édition tente un nouveau personnage, un nouveau groupe,… on sait déjà que l’échec éditorial ne tardera pas à se produire. Les lecteurs veulent lire les aventures de Superman, Spider-Man ou Wonder Woman et n’ont pas envie de donner leur chance à de nouveaux venus. Ils ont besoin de personnages mythologiques, d’un panthéon avec ses filiations, relations, hiérarchies, aventures, ennemis, amantes, etc. C’est la mort des héros et la naissance du mythe. Superman existe bel et bien. On peut écrire des livres sur lui : voilà un personnage autorisant des lectures philosophiques, psychanalytiques, sociologiques, contestataires, communautaires, politiques, militaristes, j’en passe et des meilleures. Voilà le demi dieu Hercule en collant !


Ce retour sanglant de Jason, c’est aussi, sans doute, pour l’industrie, une façon de révéler son angoisse face à l’impossibilité de transmettre la flamme de l’héroïsme ou de créer de nouveaux héros. Jason est monstrueux car il se trouve monstrueux de devoir ramener un personnage du tombeau pour écrire une bonne histoire. Du reste, tout le monde le sait et en rit : dès qu’un personnage important décède, on sait déjà qu’il reviendra. Personne ne meurt longtemps dans les comics !

Cette situation serait-elle sur le point de changer ? Dans le comics de Captain America, Steve Rogers, l’homme portant le masque du justicier étoilé, a été abattu : depuis, un nouveau Captain a fait son apparition, bien plus violent puisque armé. Et bien sûr, il s’agit de Bucky… Actuellement, DC Comics livre la saga de Batman R.I.P. (Batman, repose en paix) : notre héros pourrait bien mourir et son costume serait alors occupé par un nouveau personnage : Damien ? Jason ? Impossible à dire pour l’heure. Mais on le voit : la question se pose. Il faut donner des héritiers. Mais tuer l’identité secrète et garder le costume sera-t-il suffisant ? Et ces nouveaux héros, plus violents, permettront-ils à de nouveaux lecteurs de redonner des ventes à une industrie qui vend mal ? N’oublions pas que la mort de Captain America a carrément fait les titres des journaux américains ! L’avenir est-elle à la jeune génération ? Si oui, elle aura besoin d’une bonne psychanalyse.
Nicolas Penedo.

Après des études d’Histoire et d’Information et Communication, Nicolas Penedo a fait son chemin dans la Rédaction du magazine AnimeLand. Administrateur du site Internet et journaliste pour l’AnimeLand, l’AnimeLand X-tra et les Hors séries des magazines, il a aussi participé à la rédaction du Dico Manga et enseigne à la seule école européenne de formation de mangaka, l’Ecole Eurasiam.
On pourra lire ses chroniques livre et bandes dessinées sur le Blog de Menon et retrouver l’actualité du magazine AnimeLand à travers son site officiel.