A' l'occasion de l'exposition rétrospective "Haut et Court" 1986 - 2010 consacrée à Philippe Perrin et actuellement en programmation à la Maison Européenne de la Photographie à Paris, je publie cet essai que j'avais écrit en 2009 autour de l'artiste.
Philippe Perrin
«Shortcut to heaven. Straight to hell»
un essai de
Margherita Balzerani
Philippe Perrin «Heaven», dans le cadre de la Nuit Blanche 2006, église de Saint-Eustache, Paris.
Photo : Marc Dommage. Courtoise Galerie Pièce Unique, 4, rue Jacques-Callot 75006 Paris, France.
«J’irai au Paradis. J’ai passé ma vie en enfer».
Philippe Perrin
Exposée pour la première fois dans Église de Saint-Eustache à Paris, Heaven est une instal
lation monumentale réalisée à l’occasion de la Nuit Blanche 2006.
En jouant avec l’iconographie traditionnellement associée à la passion du Christ, Philippe
Perrin retranscrit la violence de la mort dans un contexte contemporain.
Une imposante couronne de fil en métal barbelé qui subtilement enchaînée forme un cercle
qui enferme et ouvre à la fois le regard du spectateur.
Présentée théâtralement, sous une lumière zénithale et comme une relique, un objet de contem
plation hypnotique, la réalité se déploie, et se retrouve en suppléante du divin.
En refusant l’idolâtrie et le dogme inconditionnés, Philippe Perrin nous impose la froideur du
métal en nous amenant emphatiquement vers la vérité et la chaleur du sang. L’installation est la
représentation d’une brutalité murmurée et habitée par un silence où toute parole est bannie. La
finitude et la perfection propres à la catégorie formelle du cercle qui n’a pas un rapport exprimable
en nombres finis et qui réunis tous les points de l’infini, s’oppose alors à l’expression propre à la
violence de la guerre.
Ouverture et enfermement, unité et division, aliénation et sublimation, plein et vide, violence
et indulgence, fini et infini, lumière et obscurité, terrien et céleste, divin et païen, paradis et enfer.
Plus qu’un simple cercle, une ellipse, une éclipse.
Heaven est une installation qui s’inscrit dans la cohérence de la recherche formelle de l'artiste.
Avec une oeuvre polymorphe et très personnelle, Philippe Perrin travaille depuis plus de 20 ans
une esthétique exprimant le paroxysme de la violence. Dans ses anciens travaux, ses interventions
de «guérilla urbaine» se traduisaient avec des actes-performances d’affichage sauvage effectués
dans la ville de Nice en 1986. Depuis, Philippe Perrin s’exprime à travers une reproduction sérielle
et obsessionnelle de shoot-cut visuels, de jeux d’échelle où l’oeuvre semble exploiter le brillant
effet de l’oxymore. En alternant dans sa création des violents paradis, à des bestiales tendresses,
l’artiste permet au spectateur des s’extasier dans la destruction.
Caravaggio, Judith et Holopherne - 1599
Huile sur toile - 145 x 195 cm
Palais Barberini - Rome
Philippe Perrin en sage hériter de Caravage avec des oeuvres comme Judith et Holopherne
et d’Andy Warhol avec des oeuvres comme Car Crash, transcrit dans sa sérielle banalisation de
la violence, le dionysiaque de l’art tel que l’entendait Friedrich Nietzsche, et une esthétique du
simulacre qui s’avère autant redevable à la pensée de Guy Debord.
Andy Warhol, Pink car crash, 1963.
Si l’art le plus haut, le plus religieux, est aussi l’art le plus tragique, depuis toujours l'
oeuvre de Philippe Perrin est traversée par l’expression d’un eternel retour, car l’artiste y fait surgir la
beauté de l’horreur, l’horreur de la beauté. L’humanité.
«L’artiste tragique, que nous communique-t-il de lui-même ? N’affirme-t-il pas précisé
ment, l’absence de crainte devant ce qui est terrible et incertain ? La bravoure et la liberté
du sentiment devant un ennemi puissant, devant un revers sublime, devant un problème
qui éveille l’épouvante, —c’est cet état victorieux que l’artiste tragique choisit et glorifie.
Devant le tragique, ce qu’il y a de guerrier dans notre âme célèbre ses saturnales ; l’homme
héroïque exalte, dans la tragédie, le destin de celui qui est habitué à la souffrance, de celui
qui cherche la souffrance,—et c’est à lui seul que le poète tragique offre la coupe de cette
cruauté la plus douce».1
1 Friedrich Nietzsche, Le Crépuscule des Idoles, ou comment philosopher à coup de marteau, Éditions Folio Essais.
Pour plus d'informations sur l'exposition actuellement en programmation à la MEP:
Philippe Perrin "Haut et Court" 1986 - 2010
Maison Européenne de la Photographie
du 14 avril au 13 juin 2010