vendredi 4 janvier 2008

L'Enfer de la Bibliothèque, Eros au secret.

«Per me si va tra la perduta gente [...] / Lasciate ogni speranza, voi ch'entrate» «Par moi on va parmi les êtres perdus [...] / Laissez tout espoir vous qui entrez» Vers gravés au-dessus de la porte de l'Inferno. Dante Alighieri Enfer, 3e chant, vers 3 et 9.
Exposition en programme du 04 décembre 2007 – au 02 mars 2008
Site François-Mitterrand / Grande Galerie
L’Enfer à la Bibliothèque, l’Eros au secret est une exposition actuellement en programmation à la Bibliothèque Nationale de France. Présentée à l’intérieur du bâtiment métaphore architecturale d’une littérature ouverte sur la société réalisé par Dominique Perrault en 1995; cette exposition essaye de retracer l’histoire de la constitution de «l’Enfer», ce lieu abstrait, territoire majeur de l’interdit où toutes les images et les textes réputés «censurables» étaient rassemblées dernière une cote, ou un numéro de classement.
Mais, cette réputation sulfureuse de l’Enfer, ce lieu de l’Eros interdit est-elle vraiment justifiée ?
En effet l’Enfer n’est pas un lieu sans fascination, et même la signalétique extérieure de l’exposition réalisée avec un jeu de lumières rose croisées sur une des façades de la grande Bibliothèque ne suscite pas moins d’intérêt et d’intrique.
Malheureusement le dispositif employé dans l’exposition reste malgré toute attente très décevant. Pourquoi ne pas avoir envisagé un parcours en forme de labyrinthe, sans doute plus proche de l’image de l’Enfer ? Pourquoi ne pas avoir fait participer dans le parcours de l’exposition le spectateur en rôle d’acteur, de voyeur-regardé, observé, scruté par le regard des autres? Pourquoi ne pas avoir osé des jeux de miroirs, des lumières, des ambiances feutrées ? Malgré ma déception liée à la scénographie, l’exposition présente une série de magnifiques gravures érotique des grand maitres japonais.

L’Enfer du département des estampes recèle prés de 200 gravures et plus de 100 livrets xylographiques illustrés qui couvrent deux siècles de l’histoire de l’art érotique du Japon, des années 1670 à la fin du XIX siècle. Il ne s’agit pas de simples gravures, mais d’ukiyo-e «image du monde flottant», qui prends le nom de l’école picturale qui domine l’art de l’estampe à l’époque d’Edo (1603-1868). L’expression de «monde flottant», ukiyo, apparaît au Moyen-âge dans le vocabulaire bouddhique pour désigner le monde de douleur qu’est la vie humaine avec tout ce qu’elle a de transitoire et d’impersonnel. Au XVIIème siècle, la signification de cette expression change totalement de son sens premier, puisqu’elle sert à évoquer le théâtre kabuki et les prostituées.

Le terme ukiyo apparaît pour la première fois dans la littérature vers 1661. Le terme ukiyo-e apparaît vers 1680 pour désigner le mouvement artistique spécialisé dans l’évocation de ce monde des plaisirs.
Durant l’époque Edo le nom de shunga, «image du printemps» s’applique aux estampes qui ont un sujet à caractère érotique ou pornographique. Les shunga étaient au XIIIème siècle des religieux bouddhistes peintres d’images sacrées au Jingo-ji et au Kôzan-ji à Kyôto.Les Japonais contrairement aux européens de la même époque n’ont pas de tabous vis à vis des relations sexuelles.
Ils les considèrent comme quelque chose de normal et les assimiles aux autre actions de la vie courante. Les premiers livres illustrés de pratiques sexuelles sont apparus à l’époque Nara et étaient appelés osokuzuzu no e «images des positions». L’un des plus célèbres albums, le Yôbutsu Kurabe «Concours de phallus», attribué à Toba Sôjô, montre les relations intimes des nobles de la cour impériale. Avec l’apparition de l’estampe ukiyo-e à l’époque d’Edo le genre shunga se développa à partir de 1660 sous le nom d’ukiyo-e shunga.

L’une des caractéristiques du genre shunga est de dépeindre les organes génitaux masculins de manières exagérément agrandie. Cette disproportion souligne que les shunga ont aussi une vocation humoristique, ils furent ainsi parfois appelés warai-e «images pour rire». Il faut aussi tenir compte du texte qui accompagne l’image, il éclaire l’image et invite souvent le spectateur à la gaité par un jeu de mots ou une anecdote. En 1722 un décret du shogun Yoshimune Tokugawa interdit toutes les œuvres qui portent atteinte à la moralité, d’autre interdictions, toujours contournées, suivront ainsi les lois régissant l’édition de 1790 interdisent les images érotiques. Dés lors les shunga ne sont plus signés et surnommés abuna-e «les images dangereuses». Les shunga servirent aussi illustrer les keisei-mon «livres sur les prostituées», guides des maisons closes.

L’exposition L’Enfer à la Bibliothèque, l’Eros au secret, reste malgré l’annonce du monumental X sur la façade du bâtiment, très conventionnelle. En pénétrant dans l’espace je m’attendais à une visite de cabinets des curiosités, et j’ai trouvé une succession de vitrines mal éclairées. Et alors permettait moi de dire que plutôt que l’Eros au secret on ferais mieux de parler d'un mauvais exemple d’Eros « IN VITRO ».


«Nous ne vivons que pour l’instant ou nous admirons la splendeur du clair de lune, de la neige, des fleurs de cerisiers et des feuilles colorées de l’érable. Nous jouissons du jour, enivrés par le vin, sans nous laisser dégriser par la misère qui nous fixe de son regard. Dérivant comme une calebasse emportée par le courant de la rivière, nous ne nous laissons pas décourager un seul instant. C’est ce qu’on appelle le monde flottant et éphémère. » Asai Ryoi, Récit du monde éphémère des plaisirs, Kyoto 1661.